[Interview] “Nous devons faire preuve d’innovation collective”

Dans la période inédite que traverse le pays, les partenaires sociaux doivent anticiper les solutions défensives et imaginer de nouveaux dispositifs offensifs. Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT chargée des questions d’emploi, fait le point

Avec l’état d’urgence sanitaire, nombre de modifications touchant à l’emploi et au travail ont été prises par voix d’ordonnance. Dans le même temps, les pouvoirs publics multiplient les échanges avec les partenaires sociaux sur les impacts économiques et sociaux de cette crise. Est on entré dans une nouvelle ère du dialogue social ?

Ce qui est sûr, c’est que nous avons dû collectivement réagir très vite. Dès le mois de mars, les visioconférences organisées par les ministères de l’Economie et du Travail avec l’ensemble des partenaires sociaux nous ont permis de faire remonter les difficultés des travailleurs empêchés de travailler du fait du confinement et de nos concitoyens en première ligne qui ont dû continuer à travailler dans des conditions sanitaires particulières. Sans ces rencontres, nous n’aurions pas pu obtenir un accord d’entreprise préalable à toute modification des congés payés, ni l’accès à l’activité partielle pour les salariés du particulier employeur ou encore le déplafonnement des tickets restaurants. De ce point de vue, on peut dire que le dialogue social fonctionne et que la CFDT est écoutée. Reste la gravité de la crise qui impose des décisions d’urgence. On ne peut nier que l’investissement du gouvernement pour préserver l’économie, les entreprises et l’emploi a été très important. Mais nous ne sommes qu’au début de la crise, et les conséquences sur la situation des personnes vont être multiples. Il nous faut donc construire des solutions défensives et offensives, et faire preuve d’innovation collective.

C’est le sens de la conférence pour l’emploi demandée ces dernières semaines par la CFDT ?

Oui et peu importe son nom, du moment que l’on pose l’ensemble des sujets sur la table et que l’on en fasse un lieu de débat sur ce que pourraient être, à l’aune de cette crise, les politiques publiques de l’emploi. Il ne s’agit pas de reproduire les conférences sociales telles qu’on les a connues au début du précédent quinquennat mais d’anticiper au maximum ce qui nous arrive et pouvoir adapter les solutions sur le temps long. Comment mieux armer les salariés face au risque de licenciement ? Quels dispositifs emploi mettre en place, alors que les entreprises préparent déjà des plans d’économies pour la période 2020-2021 (gel des embauches, non renouvellement des CDD, prise de congés…) ? Comment repenser l’organisation du travail en dépassant les seules propositions sur l’augmentation du temps de travail et en tirant les leçons de la période de télétravail actuelle ou en concrétisant notre projet de banque des temps ? Toutes ces questions doivent être posées. Nous y sommes prêts, et nous avons commencé en proposant sept mesures sur l’apprentissage. Il faudra aussi regarder les innovations locales car un certain nombre de question transverses ne pourront pas se traiter de la même manière selon les territoires. Les conférences sociales territoriales et pactes régionaux (où six URI CFDT sont déjà engagées) doivent pouvoir s’articuler avec le national.

Faut il revoir les règles de l’activité partielle, massivement utilisée depuis le début de cette crise ?

Sans cette mobilisation massive de l’activité partielle (12,4 millions de salariés du privé y ont eu recours à ce jour), la situation de l’emploi serait bien plus dramatique. Rappelez-vous 2008 ! Mais nous le savons, l’évolution de l’activité partielle va avoir un rôle déterminant dans le pilotage de la reprise économique. Il nous faut rapidement trouver un moyen de mieux le contractualiser, au niveau de l’entreprise comme au niveau national via le dialogue social. Il faudra aussi conditionner les aides aux entreprises à des engagements de celles-ci en matière de préservation de l’emploi ou de formation. Dans la période, il est primordial que chacun des acteurs assument sa part de responsabilité. Le lobbying exercé par certaines branches patronales depuis l’annonce d’une révision des conditions d’accès de l’activité partiel montre que tous les acteurs ne sont pas ne sont pas disposés au dialogue…et préfèrent continuer « comme avant ».

Qu’en est il de la réforme de l’assurance chômage, dont le gouvernement ne semble pas à renoncer…

C’est une incompréhension totale, et une ineptie. On voit bien qu’avec le passage de quatre à six mois travaillés pour pouvoir être indemnisé, le risque de basculer vers la solidarité nationale est très fort. Pourquoi vouloir le maintenir ? La ministre du Travail dit vouloir rediscuter des règles de l’assurance chômage. Soit ! Mais qu’on s’accorde avant sur le rôle d’amortisseur social que doit conférer l’assurance dans les périodes de crise et que l’Etat clarifie la manière dont il compte associer les partenaires sociaux.

Des « mesures sociales » ont également été prises par l’éxécutif, notamment sous l’impulsion du Pacte du pouvoir de vivre. Ces aides ponctuelles ne relancent t’elles pas le débat sur le revenu universel ?

Cela fait effectivement partie des sujets que la crise actuelle ont fait émerger. Nous avions d’ailleurs eu ce débat au congrès confédéral de Rennes, où nous plaidions pour un socle de droits universels permettant à chacun de vivre dignement. C’est le sens de la concertation entamée fin 2018 sur le revenu universel d’activité qui, percuté par la réforme des retraites puis par le départ du délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté Olivier Noblecourt, a pris du retard.

Plus que jamais, il est urgent de réactiver ce chantier. Mais pour nous, la mise en place de ce revenu doit aller de pair avec une réflexion sur la place et le sens du travail dans notre société.

Propos recueillis par aballe@cfdt.fr