Il faut désormais créer les conditions d’un télétravail de qualité

• Le télétravail devrait rester la règle dans les entreprises pendant les premières semaines du déconfinement.
• En temps ordinaire comme en temps de crise, il doit être mis en place dans le cadre d’un dialogue social de qualité.
• Dans un texte commun, la CFDT, la CFTC et l’Unsa ont fait connaître leurs préconisations.

Ces dernières semaines, la moitié des télétravailleurs confinés chez eux pratiquait cette forme de travail à distance pour la première fois. Le nombre de télétravailleurs est passé de 1,8 million avant l’épidémie à huit millions en France. De cette expérience inédite on peut d’ores et déjà tirer plusieurs enseignements. Le premier, c’est que « la mise en place du télétravail s’est faite de façon empirique dans beaucoup d’entreprises qui n’avaient pas anticipé cette possibilité », souligne Catherine Pinchaut, secrétaire nationale.

Ainsi, tel qu’exercé depuis la mi-mars, en particulier dans les entreprises ou les administrations qui n’y ont jamais eu recours auparavant, ce travail à distance imposé s’apparente plutôt à du travail à domicile dans des conditions souvent dégradées : les salariés ne disposent pas toujours de matériel adapté ni d’un espace dédié et beaucoup d’entre eux ont dû mener de front exigences professionnelles, garde d’enfants et école à la maison.

À chaud, des constats mitigés

En avril, plusieurs enquêtes ont esquissé à grands traits ce qui a fonctionné ou non pendant cette période et ce dont il faudra tenir compte à l’avenir. Les premières réponses au questionnaire en ligne « Mon travail à distance, j’en parle ! » – réalisé entre le 1er et le 20 avril par Res publica et pour lequel Terra Nova et la CFDT sont partenaires – met en évidence la capacité des salariés à s’adapter au télétravail imposé en dépit du niveau de préparation souvent insuffisant de leurs entreprises (seulement 21 % étaient bien préparées). L’enquête révèle un autre point crucial : une majorité (60 %) ne connaît pas l’accord télétravail de son entreprise ni s’il en existe un…

Selon une consultation menée par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), la moitié des répondants s’estime plus fatiguée qu’à l’accoutumée et, parmi eux, davantage de femmes et de manageurs. Cependant, depuis le 11 mai, le télétravail est perçu comme la solution par beaucoup, notamment pour désengorger les transports en commun.

Faut-il en faire la norme plutôt que l’exception comme l’a annoncé PSA ? Dès septembre, le constructeur souhaite généraliser le travail à distance pour 80 000 salariés qui ne seraient présents sur site qu’un jour et demi par semaine… La CFDT ne cache pas son inquiétude, notamment sur la perte de lien social et la désinsertion professionnelle que pourrait entraîner un tel dispositif. « Il y a urgence à fixer des règles collectives : équipements, sécurisation des données, postes et tâches éligibles, travailleurs handicapés… beaucoup de thèmes demeurent des zones d’ombre », rappelle la CFDT-Cadres, qui précise qu’« en cas de circonstances exceptionnelles justifiant la mise en place du télétravail, il y a seulement quelques lignes dans le code du travail, article L1222-11 ».

Loin d’être tous égaux face au télétravail

Dans le cadre des discussions qui vont s’ouvrir sur la reprise de l’activité, la CFDT, la CFTC et l’Unsa préconisent dans un document commun daté du 15 mai une réflexion globale sur les organisations de travail au sein des entreprises et administrations : « Le télétravail est une modalité d’organisation du travail qui ne peut devenir une modalité mobilisable pour 100 % du temps et de l’activité de travail des salariés. C’est l’alternance télétravail-travail en présentiel qui doit être privilégiée afin notamment d’éviter le phénomène d’isolement du télétravailleur et les risques professionnels associés, notamment les RPS. » Il faut pour cela donner la parole aux télétravailleurs sur ce qu’ils ont vécu pendant le confinement. « Tous ne sont pas égaux, ni face au confinement ni face au télétravail. Le télétravail ne doit pas accroître ces inégalités. Au contraire, il peut être un levier de l’égalité professionnelle. Pour cela, il faut s’assurer de l’égalité d’accès au télétravail entre femmes et hommes. »

Pour élargir au plus grand nombre la possibilité de télétravailler, le document commun stipule que « tout poste lors de sa création ou sa modification doit intégrer la possibilité que certaines activités ou tâches soient télétravaillables ». « C’est un point essentiel car la période actuelle révèle que beaucoup de personnes se sont trouvées privées d’activité faute de cette réflexion préalable sur les tâches télétravaillables, relève Jérôme Chemin, de la CFDT-Cadres. Toutefois, le télétravail doit demeurer sur la base du volontariat, avec pour seule exception à la règle des circonstances exceptionnelles comme celle que nous vivons. »

La mise en œuvre du télétravail passe aussi par une remise à plat des pratiques managériales, la régulation de la charge de travail et l’effectivité du droit à la déconnexion. Plusieurs constats sur le management à distance figurent déjà dans l’accord national interprofessionnel du 28 février 2020 sur l’encadrement, des considérations que la CFDT ne manquera pas de rappeler dans les discussions à venir.

Feu vert pour un “diagnostic paritaire”

Malgré les demandes des organisations syndicales, ces discussions ne devraient pas avoir lieu dans le cadre d’une négociation sur le télétravail, le patronat ayant décliné cette proposition. Le Medef a néanmoins ouvert la voie à un « diagnostic paritaire ». Le 15 mai, il a invité les partenaires sociaux par courrier à analyser collectivement « les opportunités et difficultés rencontrées par les salariés comme par les entreprises » pendant le confinement. Les organisations syndicales ont décidé de saisir cette opportunité de convaincre le patronat de lancer une négociation pour l’avenir du télétravail, la dernière datant de 2005. Une première réunion pourrait se tenir dès le début juin.

cnillus@cfdt.fr

photo Réa